Suite aux sanctions décidées par la Cedeao après le coup d’Etat à Niamey, 6 000 tonnes de marchandises du Programme alimentaire mondial sont retenues à l’extérieur du pays.
Depuis le coup d’Etat contre le président Mohamed Bazoum, le 26 juillet, l’espace aérien a été fermé par la junte nigérienne le 6 août, pour ne rouvrir aux vols commerciaux que le 4 septembre. Le blocus décidé par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour sanctionner les putschistes est en revanche toujours en vigueur. Conséquence : plus d’un millier de camions sont bloqués dans la zone. Côté béninois, la file de véhicules à l’arrêt
D’après le Programme alimentaire mondial (PAM), quelque 6 000 tonnes de marchandises fournies par l’agence des Nations unies sont retenues aux frontières du Niger. « Nous pourrions nous retrouver avec 10 millions de personnes incapables de se nourrir, met en garde, le porte-parole de l’organisation. Les besoins humanitaires augmentent et le temps presse. »
Les camions stationnés à la frontière entre le Bénin et le Niger transportent des céréales, de l’huile, de la nourriture spécifique pour les enfants souffrants de malnutrition et des médicaments. Ces livraisons sont destinées à atténuer la crise alimentaire qui frappe le pays sahélien, alors que 250 000 personnes ont été poussées hors de leur foyer par l’insurrection islamiste.
Les prix des céréales flambent
Prenant prétexte de la « situation sécuritaire du moment », alors que plusieurs attaques djihadistes ont été enregistrées depuis le putsch, la junte au pouvoir à Niamey a annoncé jeudi 31 août la suspension de toutes les activités des organisations internationales, ONG et agences onusiennes, dans les « zones d’opérations » militaires, mais sans préciser les régions concernées.
Le manque de denrées à l’intérieur du pays fait flamber les prix au Niger. Depuis l’annonce des sanctions de la Cedeao, le riz a augmenté de 21 % et celui du sorgho de 14 %, selon le PAM. Avant le putsch, près de 3 millions de personnes avaient déjà des difficultés à se procurer un repas par jour. Les sanctions ne se limitent pas à l’approvisionnement en nourriture. Le Nigeria voisin a coupé sa fourniture en électricité, ce qui complique notamment les soins dans les hôpitaux, a affirmé le général Abdourahamane Tiani, le chef du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
Aux abords de la frontière, les conditions de vie des transporteurs routiers se dégradent chaque jour un peu plus. « Je suis bloqué à Malanville depuis le 26 juillet, se plaint Adamou Sifou Amadou, un chauffeur nigérien joint par téléphone. Il pleut en permanence et il n’y a plus rien à manger car les vendeurs de rue qui nous ravitaillaient au début ont disparu. Beaucoup de conducteurs font des crises de paludisme et ils n’ont pas de médicaments. Nous sommes épuisés. »
Le président des conducteurs du Borgou et de l’Alibori, deux départements du septentrion béninois, devait livrer 47 tonnes de riz à Zinder, à l’est du Niger, mais cela fait maintenant plus de 40 jours que son camion est immobilisé à 900 kilomètres de son point de livraison. Sous la bâche de son véhicule, les denrées s’abîment à cause de l’humidité. « Tous les sacs de riz ouverts ou endommagés seront facturés, déplore-t-il. Financièrement, c’est une catastrophe. »
Une perte « colossale » pour les transporteurs
« Qui va payer ?, interroge Abdulrazak Koffi Bandele, transporteur et syndicaliste, basé à Kandi. Le transporteur ? Le chauffeur ? Le propriétaire de la marchandise ? Les assurances ? On n’en sait rien. Nous subissons déjà une perte colossale et nous souffrons beaucoup. Il faut que la frontière s’ouvre et que le gouvernement béninois nous entende. » Selon lui, le retour des camions vers le port de Cotonou distant de 730 kilomètres, où l’activité tourne au ralenti depuis le début de la crise, serait impossible du fait du coût du gasoil qui augmenterait encore les pertes. « Et où pourrait-on garer tous ces véhicules ? Il n’y a plus une seule place de libre sur les parkings », fulmine Abdulrazak Koffi Bandele.
Bola Tinubu, président du Nigeria et de la Cedeao, a suggéré jeudi la possibilité, aussitôt rejetée par l’organisation régionale, d’une transition de neuf mois pour la junte nigérienne. « Les actes des militaires sont inacceptables, a jugé le chef de l’Etat nigérian. Le plus tôt ils font des ajustements positifs, le plus rapidement nous reviendrons sur les sanctions pour alléger les souffrances que nous voyons. » Les généraux au pouvoir à Niamey avaient évoqué le 19 août une transition de trois ans maximum.
A plusieurs reprises, l’organisation ouest-africaine s’est dite prête à utiliser la force pour rétablir l’ordre constitutionnel. A la frontière entre le Bénin et le Niger, où sévissent des bandes armées venues notamment du Nigeria, les conséquences d’une intervention armée pourraient être lourdes pour les transporteurs routiers. « Si la Cedeao déclenche une guerre, nous savons déjà que tout sera détruit car les populations vont s’entretuer pour se précipiter sur nos chargements et piller les marchandises, s’inquiète Abdulazak Koffi Bandele. Toute la région pourrait alors basculer dans le chaos. »